Le poète ferrailleur part 2

Ce petit café fait du bien. Au corps et surtout à mes doigts gelés. Je m’en ouvre à Josiane derrière le comptoir. « Tu comprends, déjà que j’ai la charge de l’instrument solo, ça me met une petite pression, alors si en plus mes doigts gèlent, c’est pire ». Un truc dans l’genre qui voulait dire ça. Ni une ni deux, Josiane fait le tour du comptoir, me rejoint et me prend les mains. Pour les réchauffer avec les siennes qui sont bien chaudes. Pour quelqu’un qui me connaît depuis une heure, prendre soin de mes mains ainsi me remplit de gratitude. Je la regarde. Elle est belle avec ses longs cheveux cendrés. Une sorcière comme les autres. Puis elle prend soin de chacune de mes mains, les massant dynamiquement en fermant les yeux. L’émotion monte en moi. Alors que le reste de l’équipe discute avec deux salariées du lieu, Josiane et moi sommes seules au monde. Je vois une larme perler sur sa joue, je ne comprends pas mais je crois que nous sommes connectées. Par nos mains. C’est beau. Je la remercie chaleureusement pour ce cadeau et reprend, déterminée, la direction du dôme, prête à en découdre avec cet enregistrement. Je n’ai pas trop envie de parler, juste de jouer et de mettre à profit ce soin...Les filles me suivent. Josiane aussi. On dirait bien qu’elle veillera sur nous jusqu’à notre départ.

Elle s’approche du dôme écoutant la chanson. Elle regarde le texte, chante un bout avec moi. Puis nous continuons les enregistrements et l’invitons à venir y assister en rejoignant le banc. Mes doigts vont mieux mais je suis à nouveau à bout de souffle. Cette chanson me demande beaucoup. Je réessaie debout. Pause au soleil.

Josiane m’interpelle : « je n’y connais rien mais tu vas chercher beaucoup trop profond ton « enfin ». Il s’agirait que tu fasses plus simple. » Merde alors, moi qui aimes beaucoup cette fin et sa montée dans les aigus, je dois reconnaître également qu’elle n’a pas tort. Je suis toujours à bout de souffle alors que je devrais la terminer posée, ancrée.

14 heures approchent, il va falloir songer à plier. Le public va arriver bientôt. Nous tentons quelques dernières prises et au moment de finir, la pluie fait son apparition. Bon timing. Chargement dans la voiture, nous pique-niquons sous l’appentis prévu à cet effet et reprenons la route direction l’Ille et vilaine.

Dans la voiture, j’apprends avec stupeur et tristesse le décès d’un grand musicien membre de ma famille. Décidément cette journée aura été intense en émotions…
Nous rejoignons la grange-théâtre où nous attend l’amie Annaïck qui avait participé aux chœurs pour la session 1 et remet le couvert pour la session 2 pour « Bateau » d’abord puis « Si Grand ».
Mais avant cela, nous décidons de faire les réécoutes de Lizio, pas sûres d’avoir une prise satisfaisante… Après 2h30 de route dans les pattes pour la journée (surtout pour Jenny qui conduit), nous décidons d’être efficaces au retour : l’une fera le feu, l’autre le café et le thé, et on se retrouve au théâtre pour un petit goûter écoutes.

Il faut se rendre à l’évidence : il vaut mieux que nous réenregistrions dans le théâtre ce soir. Et il est vrai qu’en très peu de prises, nous sommes toutes ensemble et la magie du morceau opère. C’est ça le poker, tu perds ou tu gagnes. Mais au vu de nos rencontres, nous n’avions vraiment rien perdu à nous rendre à Lizio, même si évidemment j’aurais aimé transformé l’essai en sacré coup. Mais c’est ainsi.

Après l’enregistrement, nous pensons pouvoir faire s’entrechoquer les verres du soir mais Mya s’exclame : « vous voudriez pas qu’on se fasse une petite répé de Si Grand ?» Vu la journée, personnellement, je me serais bien fait illico une chaise longue près du poêle mais bon il reste un soupçon d’énergie à cette équipe, alors nous répétons à nouveau pendant une heure. Et après coup, je félicite Mya pour son idée, la chaise longue n’en est que meilleure. Si grand est remise sur les rails pour l’enregistrement de demain. C’est ce qu’il fallait.

Nous improvisons même sur la musique de la dite chanson une ode à Henri, le chéri d’Annaïck qui, ne pouvant être là pour nous concocter ses bons petits plats (je rappelle que depuis la veille nous n’avons plu de cuisinier), nous a concocté trois plats traiteur livrés par sa douce. Encore une fois, nous n’avons plus qu’à nous mettre les pieds sous la table. Royalement.
Les verres peuvent enfin s’entrechoquer !